Tribune : « Au-delà d’indices comme le CAC 40 ESG, une mesure globale de la performance des entreprises s’impose »

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En mars, Euronext a donné naissance au CAC 40 ESG, déclinaison du CAC 40 censée identifier des entreprises vertueuses en matière d’environnement, de gestion sociale et sociétale, et de gouvernance. Mais au bout du compte, seules les actions compteront. Et la capacité à mesurer et comparer les résultats réels de ces acteurs importera plus que ces indices. (Corinne Grignan Ollivier, directrice conseil chez Keyrus Management – Photo Keyrus)

Courant mars, Euronext annonçait la création du CAC 40 ESG, une déclinaison du CAC 40 regroupant 40 groupes reconnus pour leurs bonnes pratiques en matière d’environnement, de gestion sociale et sociétale et de gouvernance. Cet indice a pour vocation de servir à la création de supports d’investissement « durables » qui pourront être labellisés ISR (Investissement socialement responsable). L’objectif est d’accélérer la transition vers une économie responsable – dans la lignée du Plan d’action pour la finance durable de 2018 de l’Union européenne – et d’alimenter une tendance de fond très marquée puisque la collecte 2020 des fonds durables français a atteint les 100 milliards d’euros.

Comment l’indice CAC 40 ESG a-t-il été conçu ?

Le CAC 40 ESG s’appuie sur le socle des 60 valeurs habituelles éligibles au CAC 40 dont ont été exclus les groupes faisant l’objet d’une controverse autour des principes du Global compact (*) ou ayant des activités significatives dans les énergies fossiles ou le tabac. La sélection a ensuite été réalisée à partir de la notation Vigeo Eris (**) de ces groupes sur un panel de 38 critères ESG.

Et comme toute sélection, le CAC 40 ESG prête forcément à la polémique… être ou ne pas en être, telle est la question ! On ne reprendra pas ici nominativement les neuf  in et out du CAC 40 classique, mais la publication de cet indice a pointé du doigt des « exclus »  pourtant en forte transformation ou porteurs de solutions durables (Saint-Gobain, Dassault, Total, etc.) plutôt que véritablement mettre en lumière des pratiques ESG vertueuses. Si ces exclus sont majoritairement des groupes industriels, d’autres grands acteurs de l’industrie font néanmoins partie du panel, notamment autour de l’énergie avec des Arkema ou EDF.

Dans la foulée de cette annonce, début avril, le cabinet de conseil Axylia, acteur de la finance responsable, avait lui aussi présenté son indice Vérité 40, focalisé plus spécifiquement sur la préoccupation environnementale autour de la neutralité carbone. L’approche consiste à recalculer les ratios financiers des grands groupes après paiement de leur facture carbone. De fait, cela a conduit à constituer un panel encore différent de 40 valeurs …

Les indices fleurissent, mais après ?

Ce printemps voit donc fleurir les indices financiers green ! Le principal avantage étant de placer clairement sur le devant de la scène ces sujets ESG qui nous concernent tous : états, citoyens, entreprises et investisseurs…

Un bémol toutefois, cette démultiplication des indices risque de faire perdre au sujet sa lisibilité et donc son impact. On peut faire en cela le rapprochement avec les labels RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) devenus nombreux autour de labels phares comme Lucie, induisant un effet inverse : les entreprises ne sachant plus à quel saint se vouer renoncent finalement à leurs projets de labellisation.

Mais pour les indices comme pour les labels, ce qui compte in fine, c’est bien la réalité des actions enclenchées par les acteurs économiques et leur impact effectif sur la société et l’environnement. Car le greenwashing, cette tendance à une communication verte plus marketing que réellement engagée, tout comme le chant des sirènes, ne doit pas nous détourner de notre grande odyssée du XXIe siècle : celle des ODD (Objectifs de développement durable) de l’ONU, celle des Accords de Paris sur le climat, etc.

On suivra donc dans le temps l’évolution de ces indices et des mouvements de capitaux qu’ils génèrent en faveur de l’investissement responsable. Mais ce que l’on suivra également, c’est la cohérence et la continuité entre l’investissement et le soutien à long terme des stratégies durables des entreprises par les actionnaires. Enfin, on suivra de plus près encore les résultats des actions enclenchées en faveur de cette durabilité.

Vers une mesure globale de la performance

Ceux-ci sont – en partie – communiqués par les groupes au travers des déclarations de performance extrafinancière au sein desquelles on observe un enrichissement progressif et une plus grande intégration des thématiques ESG dans les stratégies d’entreprise.

Mais ce qui est mesurable (et ce n’est déjà pas toujours évident !) doit également devenir comparable…Il reste encore beaucoup à parcourir pour une normalisation de ces DPEF (Déclarations de performance extrafinancière) permettant d’établir des benchmarks ESG sectoriels sur un plus large périmètre d’entreprises. L’Union européenne se fait aujourd’hui le fer de lance de ce sujet de la normalisation, avec la directive NFRD (Non-financial reporting directive) qui vise les sociétés cotées, mais également non cotées.

Car si les indices évoqués ci-dessus ne sont établis aujourd’hui que pour les grands groupes, la transformation durable doit mobiliser l’ensemble des acteurs économiques et devenir pour chacun un pilier d’une stratégie pérenne. Il s’agit ni plus ni moins de penser l’entreprise de demain dans sa proposition de valeur durable vis-à-vis de ses clients, de ses équipes internes, de ses partenaires, de ses actionnaires et de la société. Cela exige une vision, une gouvernance, la cohérence entre l’engagement et l’action, la transparence et une mesure globale de la performance.

De fait, les directions financières ont un rôle majeur à jouer pour accompagner la transformation des modèles d’affaires dans une vision plus durable et adapter les dispositifs de pilotage vers une vision « intégrée » de la performance combinant le financier et le non-financier. La fonction finance a toujours joué un rôle de gardien du temple, de garant de la fiabilité et de l’auditabilité des données. Le « temple » prend de l’ampleur, mais la rigueur autour de la qualité des données doit rester la même et l’animation des processus de pilotage doit embarquer ces nouvelles dimensions, contributrices d’une performance à long terme.

Alors, en être ou ne pas en être là n’est pas la question !

Si la création de cet indice CA 40 ESG a pu créer un effet de communication et si sur certains aspects la démultiplication des indices semble se fondre dans la mouvance du greenwashing, il n’en demeure pas moins que les sujets ESG font désormais partie intégrante de notre quotidien et que les entreprises de toutes tailles les intègrent dans leur stratégie, leur business model et leur communication financière et extrafinancière. Cette odyssée nous embarque tous – les directions financières en particulier – dans une vision élargie et durable de la performance.

Corinne Grignan Ollivier, directrice conseil chez Keyrus Management

 (*) Global Compact : Le Global compact (Pacte mondial en français) a été lancé au Forum économique de Davos en 2000 et définit pour le monde des affaires 10 principes à respecter autour des droits de l’homme, des normes internationales du travail, de l’environnement et de lutte contre la corruption.

(**) Vigeo Eiris : Agence de notation sociale et environnementale, créée en France en 2002 (Vigeo) et devenue Vigeo Eiris en 2015 après fusion avec le Britannique Eiris. Moody’s en est devenu actionnaire majoritaire en 2019.

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