Covid-19 : Pour Frédéric Doche, « le contrôle de gestion est là pour mesurer l’impact et le coût de décisions que le management doit prendre rapidement »

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Le contrôle de gestion n’est pas en première ligne dans la gestion de la crise du covid-19. Mais il en est une indispensable cheville ouvrière. Il analyse la situation et chiffre les décisions. Une démarche qui mettra en exergue le niveau de transformation digitale et la bonne gouvernance des data des entreprises. Entretien avec Frédéric Doche, Président du groupe Contrôle de Gestion du DFCG (réseau des dirigeants financiers) et du cabinet de conseil en amélioration de la performance DPC. (photo G.Altman – Pixabay)

EnjeuxDAF : La crise du covid-19 bouleverse humainement et économiquement les entreprises. Quel est le rôle du contrôle de gestion durant cette crise et quelles sont ses priorités ?

Frédéric Doche : Tout d’abord, l’impact sur les entreprises, et donc sur l’action du contrôle de gestion, est très variable d’une entreprise à l’autre, en fonction de sa taille, de son secteur d’activité, etc. La situation n’est pas la même dans une compagnie aérienne presque totalement à l’arrêt et chez un fournisseur d’infrastructure réseau, au contraire en surcharge. Les actions à mettre en œuvre seront très différentes.

La priorité en ce moment, c’est l’humain. Pour préserver le personnel, la plupart des directions financières sont en télétravail. Et dans ce cadre, il est essentiel de gérer ses équipes. L’homme est ainsi fait qu’il a besoin de travailler en équipe et il faut se préoccuper de garder une cohésion d’équipe même si les individus sont éparpillés derrière leur PC et leur Zoom ou leur Teams (outils de visioconférence, NDLR). Ce n’est pas spécifique au contrôle de gestion, bien sûr, mais ces collaborateurs ne sont pas tous habitués à travailler à distance. Le business, les chiffres sont évidemment prioritaires, mais en ce moment il faut s’occuper des femmes et des hommes.

EnjeuxDAF : Quelles sont les autres priorités du contrôle de gestion ?

Frédéric Doche : La deuxième priorité est de clairement cerner la situation. Ce qui n’est pas simple. Pour ce faire, il faut remonter le mieux possible les informations, en se focalisant fortement sur le cash, les encaissements et les décaissements. La gestion du cash est toujours importante, bien entendu, pour une entreprise. Mais en ce moment, elle l’est d’autant plus que les encaissements ne rentrent pas forcément, et que les décaissements, salariaux par exemple, sont inévitables. Même avec les aides du gouvernement. Cette crise exige non seulement un suivi de la trésorerie, mais de l’anticipation.

Dans ce cadre ou dans celui plus large d’un plan de continuité d’activité (PCA), comme certaines sociétés l’ont enclenché, le contrôle de gestion va se concentrer sur les questions opérationnelles et financières. Il sera parfois amené à participer au chiffrage d’une ou plusieurs activités pour évaluer leur situation, ou proposer de réinjecter du cash dans telle ou telle autre activité. Le management a besoin de réagir rapidement et le contrôle de gestion est là pour mesurer l’impact et le coût des décisions prises. Et, encore une fois, il est indispensable qu’il remonte des informations fiables, rapides, pertinentes sur ce qui se passe.

Un autre défi pour le contrôle de gestion, notamment pour le contrôle de gestion social, sera le pilotage de la masse salariale. Enfin, il faut suivre de très près les mesures gouvernementales et leurs impacts, qui tombent quotidiennement. La DFCG a publié une documentation et des notes techniques, récemment actualisée.

Frédéric Doche, Président du groupe Contrôle de Gestion du DFCG et du cabinet de conseil en amélioration de la performance DPC

EnjeuxDAF : Est-ce qu’il ne sera pas difficile, complexe, de remonter ces informations fiables, indispensables à la prise décision, pour les entreprises qui n’ont pas digitalisé les processus ?

Frédéric Doche : Ceux qui ont réalisé leur transformation digitale ont clairement un train d’avance. Ils ont mis en place des dispositifs de remontée de données sur des référentiels communs et réduit le nombre de processus manuels. C’est le cas de certains secteurs comme la distribution qui récupère déjà de l’information quotidiennement, voire plusieurs fois par jour. Et en ce moment, il tourne à plein régime. L’industrie, au contraire, travaille sur une échelle de temps plus longue. Et les sites de production ont commencé à s’arrêter.

EnjeuxDAF : Comment les entreprises les moins avancées dans la transformation digitale peuvent-elles procéder ?

Frédéric Doche : Il est certain qu’il n’est plus temps de mettre en place des outils SI. Tous les nouveaux projets sont gelés, voire les projets actuels … Il faudra les redémarrer dans un second temps. Le contrôleur de gestion doit utiliser les outils et les données à sa disposition, avec ce que ça peut générer comme imprécision. Mais le télétravail constitue une occasion de mieux partager l’information, en utilisant efficacement les environnements collaboratifs.

Pour les entreprises, encore trop nombreuses, qui gèrent tout sur Excel, c’est très compliqué. Mais cela reste faisable ! Mieux vaut avoir préalablement bâti un référentiel financier commun, des outils de pilotage et de visualisation, ce qui facilite la mesure réelle et fiable de l’activité. Pour ceux qui n’ont rien prévu, ce sera très difficile. Pour moi, le covid-19 va changer le point de vue des entreprises sur bon nombre de sujet d’automatisation, et notamment sur les systèmes de pilotage et de remontée d’informations.

EnjeuxDAF : Nous ne sommes qu’au début de l’épidémie, mais faut-il d’ores et déjà travailler sur la sortie de crise ?

Frédéric Doche : Effectivement, après avoir réalisé l’état des lieux, viendra le temps des projections. Encore une fois, tout va dépendre des secteurs. Pour certains, ce sera très compliqué à construire. Les entreprises s’appuieront certainement sur des raisonnements par scénarios et simulations. Les grands groupes internationaux disposent déjà de capacités pour le faire. Mais les plus petits, eux, sont souvent moins bien équipés. C’est ce qui ressort des résultats 2020 de l’Observatoire international du manager de la performance, menée par Décision Performance Conseil et la DFCG.

Indéniablement, il faudra prendre le temps de tirer efficacement les leçons de cette crise en matière de process, de management, d’automatisation des remontées d’informations. Il faudrait en profiter pour définir une feuille de route pour la suite. Mais c’est toujours une démarche difficile, car les entreprises sont entraînées dans le quotidien et la satisfaction de la sortie de crise.

Une fois tout terminé, des leçons spécifiques devront être tirées de la situation, sur le rôle du contrôleur de gestion, plutôt manager de la performance. Il devra avoir davantage de scénarios prêts, en mode agile. Et pour cela, disposer des bons outils. Il ne suffira pas de disposer de quelques indicateurs et de remonter les informations, mais il faudra mettre en œuvre une gouvernance de la donnée, dans l’ensemble de l’entreprise pour que chacun dispose des bonnes informations pour prendre ses décisions. Et pour mener cette réflexion, il me parait important d’avoir une démarche de retour d’expérience, bottom up plutôt que top down, ce qui sera aussi une façon de souder les équipes autour d’objectifs communs et partagés.

Propos recueillis par Emmanuelle Delsol

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